François Colcombet, le 24/02/2016 à 8h39
François Colcombet, président de la
Fondation d’études pour le Moyen-Orient (FEMO), un think thank qui se consacre
aux questions géopolitiques du Moyen-Orient, appelle l’Occident à rester
vigilant à l’égard d’un régime, qui selon lui, cherche à se donner « un
vernis de légitimité » à l’occasion des scrutins du 26 février.
En Iran, les élections du 26 février exaspèrent les
tensions. Les électeurs sont invités à choisir les nouveaux membres de deux
Assemblées : l’Assemblée consultative islamique ou le Majlis qui se rapproche
de notre assemblée nationale et, l’Assemblée des Experts dont les rôles sont
centraux dans un avenir proche. Le régime va-t-il enfin desserrer l’étau sur la
société iranienne et à respecter les aspirations d’une population excédée par
35 ans de dictature religieuse ? C’est tout l’enjeu.
Sommes-nous à la veille d’une ouverture politique
laissant espérer une ouverture économique qui permettrait à la France et
l’Europe de développer leurs relations avec l’Iran ? Les premiers indices en
provenance du pays ne rendent pas optimistes. Les autorités iraniennes semblent
d’ores et déjà avoir répondu à une partie des interrogations : sur 3 000
candidats du camp dit « réformateur » sur l’ensemble du pays, seuls
quelques dizaines ont été autorisées par le Conseil des gardiens, à se
présenter à ces élections, soit à peine 1 % selon certains experts. Les
principales figures de la tendance dite « modérée » sont bannies du
champ politique iranien, et, à Téhéran, seuls quelques rares « candidats
réformateurs » ont été autorisés alors que les Téhéranais doivent élire 30
députés sur un total de 290 que compte le Majlis.
La situation n’est pas meilleure pour les candidats à
l’Assemblée des experts, instance composée exclusivement de 88 religieux qui
auront pour tâche de désigner le Guide suprême à son décès. Seules 161
personnes ont été autorisées à se présenter. L’actuel Guide suprême s’est ainsi
assuré que les nouveaux membres de cette Assemblée resteront issus de son
propre camp. Son zèle est allé jusqu’à exclure Hassan Khomeiny, le petit-fils
du fondateur de la République islamique. Il a dû juger que ce clerc de
43 ans, dont le nom circule à Qom comme un possible successeur d’Ali
Khamenei, ne lui avait pas assez prêté allégeance.
Le renouvellement de cette assemblée revêt une importance
politique considérable. Il intervient à un moment où la question de la
succession du Guide, qui souffre d’un cancer, est en jeu. Mais aussi parce que
la question du principe même du « Guide suprême absolu » est de plus
en plus remise en question par la société iranienne. Ce principe, écrit dans la
constitution, qui confère aux religieux un pouvoir illimité les pouvoirs,
législatif, exécutif et judiciaire. Un principe qui fonde la théocratie
iranienne et qui nie le principe même de la volonté populaire.
Un
pays pas comme les autres
D’aucuns avancent que le développement du commerce et des
échanges économiques de l’Occident avec l’Iran contribueront à une progressive
ouverture sociale dans le pays. La visite du président iranien Hassan Rohani à
Paris le mois dernier a été l’occasion pour les milieux d’affaires de signer
des contrats pour la vente de produits français à l’Iran. Mais le doute
persiste. Il n’apparaît guère pertinent d’investir en ce moment dans un pays où
l’économie, comme la politique, sont le monopole de Fondations du Guide suprême
et des Gardiens de la révolution (Pasdaran).
Car l’Iran n’est pas un pays comme les autres. Son
économie est contrôlée à plus de 60 % par les Pasdaran. Ce pourcentage est
de 80 % pour les activités liées aux infrastructures du pays. Commercer
avec l’Iran, c’est passer inévitablement par les Pasdaran qui ont la sinistre
réputation d’être impliqué dans la répression de la population. Avec plus de
2 200 exécutions sous le mandat d’Hassan Rohani, l’Iran a le record des
exécutions capitales par tête d’habitant dans le monde et les châtiments cruels
y sont régulièrement dénoncés par les ONG. Les Pasdaran, responsables de
l’exportation du terrorisme et de l’islamisme à l’étranger, sont par ailleurs
impliqués en Syrie dans le massacre de l’opposition modérée.
Le
problème des « modérés » en Iran ?
Malgré l’humiliation subie par le camp de Rohani, avec
l’élimination de ses candidats avant même la tenue des élections, ce dernier a
appelé les électeurs à se rendre aux urnes. Cette décision laisse perplexe.
Elle fait sérieusement douter de la capacité du régime à se réformer. Elle fait
surtout douter de la nature du camp « réformateur » et de ses
intentions politiques. Plutôt que de saisir l’occasion historique qu’offrent la
conjoncture internationale et l’enthousiasme suscité en Occident après l’accord
nucléaire et la levée des sanctions internationales pour développer des
relations économiques prometteuses avec l’Iran – qui ne seront pérennes et
fructueuses que par une ouverture politique du pays – les soi-disant réformateurs
ont pris soin de ne pas dépasser les lignes rouges fixées par le Guide suprême.
Ils ont refusé de boycotter les élections qui sont
d’autant plus dénuées de légitimité que les opposants au régime du Guide
suprême en sont bannis depuis 35 ans. Les démocrates, les libéraux, les
forces de gauche, comme les Moudjahidine du Peuple et les mouvements
alternatifs… sont tous interdits d’activité en Iran et leurs membres emplissent
les prisons.
Le problème de Rohani et de ses « modérés » en
Iran est leur souci maladif de ne rien faire qui pourrait être compris comme
une opposition ouverte au Guide suprême. Car pour une société fermée telle que
celle de l’Iran, la moindre réticence serait interprétée comme une invitation à
la rue. Cette crainte est partagée avec une égale intensité par toutes les
factions du régime, tant les « durs » que les « moins
durs ». Pour eux, la survie de la théocratie prime sur toute autre
considération.
L’appel
des démocrates
Les vrais modérés que représente la majorité silencieuse
en Iran demandent avant tout une réforme de la constitution iranienne pour en
faire disparaître le « principe du Guide suprême », au centre de tous
les maux du système iranien et des malheurs du grand peuple d’Iran. Les
démocrates iraniens à l’instar de l’ancien recteur de l’université de Téhéran
Mohammad Maleki ont appelé au boycott de la mascarade qui n’a d’élection que le
nom. Estimant qu’une participation reviendrait à légitimer l’"ingénierie
électorale" pratiquée systématiquement en Iran depuis 1979, qui consiste à
faire une censure préalable sur les candidats à l’élection, à falsifier le
décompte des voix et à remplir les urnes pour prétendre à une
« participation massive » de l’électorat et donc de la
« légitimité » de la théocratie islamiste.
La population iranienne n’est pourtant pas dupe sur la
nature du régime, ni sur le sens de ces élections qu’elle rejette dans sa
grande majorité. En Occident, nous devons rester tout aussi vigilants face aux
velléités d’un régime qui cherche à se donner un vernis de légitimité à
l’occasion de cette élection qui ne serait qu’une… sélection parmi des
candidats déjà choisis.
Magistrat et homme politique, il a été conseiller à la
Cour de cassation, et cofondateur du Syndicat de la magistrature dont il a été
président de 1973 à 1974. Il s’est intéressé aux questions du Moyen-Orient et
étudié notamment la constitution de la République islamique. Il a participé à
la fondation du Comité Français pour une Iran démocratique (CFID).
François Colcombet
#Iran #FrançoisColcombet #Election
No comments:
Post a Comment